Le Séga: Histoire et origines

Le séga est un genre musical traditionnel qui a ses racines sur l’ile Maurice. Cette musique a été influencée par les cultures africaines, françaises et créoles et reflète la richesse culturelle de cette île située dans l’océan Indien. De la danse au chant, le séga est un élément important de la vie culturelle de l’ile Maurice et a été transmis de génération en génération depuis des siècles. Dans cet article, nous explorerons les différents aspects du séga, depuis ses origines jusqu’à ses artistes les plus marquants.

Le séga c’est quoi?

Partout où elle est entrée en contact avec le monde extérieur, l’influence de l’Afrique a été profonde. Lorsque les esclaves sont partis, ils sont partis les mains vides, avec rien d’autre que leurs souvenirs, leurs voix, leurs corps, si bien qu’au départ, cette influence était orale : c’était le chant, le rythme et la danse. Et ces traces de l’Afrique ont grandi, malgré le monde de leurs nouveaux maîtres. C’est ainsi que le séga est devenu le chant et la danse traditionnels des habitants de Maurice et de Rodrigues, mais aussi d’autres îles de l’océan Indien, comme les Seychelles et la Réunion.

Le séga est la musique des exilés. Les esclaves se réunissaient le soir après une longue journée de travail et se racontaient des histoires. Ils inventaient des « sirandanes » (énigmes créoles) et chantaient leur vie, leurs sentiments, en dansant sur ces rythmes qui étaient les leurs sur le sol africain. Le séga antique avait également une fonction magique, sacrée, et était indissociable des moments les plus importants de la vie, de la naissance à la mort. Le « séga de la mort », par exemple, accompagnait les rites funéraires. On le dansait autour du cercueil en jouant certains rythmes sur toutes sortes d’objets résonnants pour chasser l’esprit du mort. Les huit jours suivant un décès étaient consacrés à la mémoire du défunt et l’occasion de veillées pendant lesquelles tout était fait pour encourager l’esprit du mort à partir. Le huitième jour, une sega devait être organisée avec une représentation théâtrale de fables et de contes de fées par des acteurs masqués et habillés de façon fantaisiste. Tout cela fait partie du passé.

Le séga semble avoir perdu son caractère rituel au tournant du siècle, pour devenir un pur divertissement. Le séga est une sorte de récit improvisé, souvent assez croustillant, des aléas de la vie, la langue créole étant parfaitement adaptée à cet art avec sa grande plasticité, ses jeux de mots, ses doubles sens et ses onomatopées, tous dispensables à un spectacle de séga.

Avec un passé étroitement lié à la magie, ses danses hautement érotiques et ses jeux de mots visant sans doute les pouvoirs en place, le séga n’a pas trouvé grâce auprès de l’Église et de l’autorité civile et a été mal vu, souvent même interdit. Après l’abolition de l’esclavage, les Noirs ont quitté les plantations de canne à sucre, formant des colonies sur les rives de la Rivière Noire, à Mahébourg et dans quelques autres sites. Le séga classique ancien, maintenu vivant et prospère dans ces communautés afro-mauriciennes, se présentait sous la forme d’un appel au tambour suivi de la présentation du thème principal, généralement improvisé par une femme et répété sans cesse par un chœur jusqu’à ce qu’il ait créé une atmosphère obsessionnelle stimulante pour les danseurs . Ce séga, dit « séga de ravanne », du nom de la ravanne qui était le principal instrument de percussion utilisé, est resté proche de la forme d’art originale et a été, à certains égards, le prototype de la « vraie chose ». Mais parallèlement, les Noirs et les Métis, qui vivaient en contact plus étroit avec leurs anciens maîtres, ont développé une forme plus « civilisée » de séga. Ils le mettaient lors de fêtes ou pour honorer des invités.

Pourtant, il s’agissait en quelque sorte du premier séga remanié, plutôt discret et inoffensif. On l’appelait le séga « dans la cour grand’case » et il fut suivi par un séga encore plus européanisé, encore plus édulcoré et adapté à la culture urbaine, le séga dit « de salon ». Jacques Cantin a été le premier, dans les années 50, à mettre le séga à l’antenne. Il a été rapidement suivi par Serge Lebrasse et d’autres, ce qui a conduit au séga moderne d’aujourd’hui avec ses tubes et ses stars.

Ce type de séga peut être entendu dans les foyers ou dans des lieux publics comme les discothèques ou les hôtels de tourisme. Entre ce séga que l’on pourrait qualifier d’urbain, voire de commercial, avec ses guitares électriques, son synthétiseur et sa batterie, et le séga traditionnel des communautés afro-mauriciennes comme celles de Rivière Noire et de Mahébourg (dont le représentant le plus remarquable est le groupe Z’enfants Ti Rivière), un autre type de séga a vu le jour. Un séga qui, bien qu’imprégné de tradition, a été fortement influencé par la musique populaire occidentale, un séga qui n’a pu évoluer que grâce à des hommes ayant les pieds dans les deux mondes, un amalgame des cultures africaines et des propriétaires terriens européens. Des hommes qui, par leur travail particulier, étaient appelés à évoluer dans les cercles des propriétaires terriens blancs tout en continuant à vivre dans leurs villages. L’art du séga de Ti Frere est justement le produit de l’assimilation de ces deux modèles.

Histoire du séga à Maurice

Dès 1768, les voyageurs qui se rendaient à l’île Maurice rapportaient des récits de chants et de danses d’esclaves qui semblaient si différents et si particuliers à leurs yeux émerveillés.

Bernardin de St Pierre parlait alors de la passion des esclaves pour la musique et de la douce harmonie d’instruments inconnus pour assortir les chansons de tous les thèmes amoureux actuels. Milber, en 1803, a parlé des pas de danse sensuels qui montrent clairement leurs intentions chaleureuses, et Rousselin, en 1860, a été l’un des nombreux à être inspiré pour tenter de capturer l’atmosphère de la danse des esclaves en dessins. Ils avaient tous été témoins de la magie de la danse ou de la musique noire shega, ou, comme on l’appela bientôt, du séga. Ils avaient tous entendu la musique née d’âmes africaines apaisées dans leurs patries perdues sur des battements de tambour rapides et des rythmes martelés. Des âmes africaines maintenant prises dans le parfum et la beauté douce d’une île. De cet unisson est né le séga.

Les instruments

Les voyageurs avaient entendu le bobre, le ravane, le maravane et le triangle. De nouveaux instruments ingénieux jamais entendus auparavant.

  • Le bobre est un long arc en bois maintenu en arc de cercle au-dessus d’un fruit creux en forme de calebasse à la peau rugueuse (la calebasse) par une corde végétale, le tout frappé par une solide baguette de bois. Son timbre mélancolique s’est malheureusement perdu au fil des ans et il ne fait plus partie de l’équipe musicale d’un séga.
  • Le ravane est une peau, tendue sur un cadre circulaire en bois. Resserrée encore plus jusqu’à une limite vibrante sur une flamme de bois de chauffage, et parfois cerclée de cloches, elle est au cœur du rythme du séga. Son aboiement rauque et palpitant marque le début de la danse.
  • La maravane était autrefois une calebasse remplie de petites pierres ou de noix séchées. Les pierres ou les noix séchées sont restées mais sont maintenant secouées dans un cadre en bois pour envoyer les danseurs sur leur rythme entraînant.le triangle est toujours le même cadre métallique sur lequel une tige de métal est frappée, pour une note aiguë de picotement. Le mélange de ces sons provoque une envie irrépressible de se lever et de danser.

Les instruments originaux disparaissent rapidement au profit d’un ensemble orchestral plus conventionnel. Cependant, tout au long des villages de pêcheurs côtiers, les instruments traditionnels sont encore utilisés :

  • Le Ravane, qui est un cerceau de bois sur lequel a été tendu un morceau de peau de chèvre ;
  • le Coco, (Maracas) qui représente la section percussion ;
  • le Triangle, une pièce de métal triangulaire qui tinte lorsqu’on la frappe avec une tige de fer.
  • La guitare traditionnelle qui était un instrument à une seule corde avec un arc attaché à une « Calebasse » vide, a été remplacée par la guitare hawaïenne et électrique plus sophistiquée.

Stimulés et inspirés par le rhum local, les pêcheurs se réunissent autour d’un feu de camp et donnent libre cours à leurs émotions. Très souvent, ils dansent sans aucune musique et ne sont accompagnés que par le son de la Ravane, le tintement des cuillères, le cliquetis des graines dans une boîte de conserve et les battements de mains des spectateurs qui finissent par se joindre à la mêlée.

La danse proprement dite consiste en un déhanchement rythmique sur le rythme palpitant du Ravane. Elle commence par un doux balancement, sur un air lent et solennel, qui monte progressivement, consumant les danseurs et faisant en sorte que leurs corps se secouent, s’étirent et se balancent avec des mouvements animés pour suivre le rythme toujours plus rapide.

Le rythme s’insinue en vous et, à mesure que votre corps répond au rythme, vous êtes transporté vers des sommets d’extase, générant une force vibratoire qui secoue le « plomb » de vos pieds et vous inspire une façon de danser pleine d’entrain et sans retenue. Fatiguant peut-être, mais exaltant ! Peu importe si votre mouvement ne suit pas le rythme… continuez à danser et vous serez surpris de voir comment le rythme et le mouvement se synchronisent ensuite.

Le mélange de ces sons provoque une envie irrépressible de se lever et de danser.

Les artistes qui ont marqué l’histoire du Séga

Ti Frere

En cette période de la fête de la musique, il est bon de se rappeler l’itinéraire de celui qui incarne l’imaginaire musical mauricien : Ti-frère. Véritable figure mythique de la chanson mauricienne, Ti-frère, Alphonse Ravaton de son vrai nom, est demeuré aujourd’hui, même à l’ère du raggamuffin, un incontournable de la chanson mauricienne.

Le visage fripé, la voix rauque et le regard vif, tels sont les traits que le Mauricien d’aujourd’hui retient de Ti-frère. On se souvient également de certaines mélodies, telles ‘Roseda’, ‘Papidou’, ‘Anita’, ‘La colère prend moi’, ‘Ti Pierre, ti Paul’… Des mélodies qu’on a entendues pendant l’enfance et qui demeurent enfouies dans la mémoire collective mauricienne.

Ti-frère est désormais une institution. En effet, le séga mauricien se décline sous les airs qu’il nous a laissés. Face au vide qui existait pendant l’ère coloniale au niveau du séga et de la culture afro-mauricienne, Ti-frère a tout inventé. La mélodie qui caractérise le séga d’aujourd’hui est un emprunt propre à ses influences …

« Pariage séga » et « Bal zarico »

La formation d’un ‘séga-band’ composé de joueurs de ‘triangle’, ‘ravanne’ et ‘maravane’ est aussi typique des troupes qui participaient aux ‘pariage séga’ (concours de séga) auxquels prenaient part Ti-frère et d’autres chansonniers du début du vingtième siècle. Ces concours n’avaient en fait rien de compétitif car ils ne comprenaient aucun jury ou prix. Ils s’apparentent plus aux défis que se lancent les rappeurs d’aujourd’hui et qui ne servent qu’à démontrer le talent des artistes. Ti-frère, lui, rajoutait l’accordéon de temps à autre à ces formations de base.

Malgré le fait qu’il ait pratiqué, chanté et joué le séga toute sa vie, Ti-frère a été un artiste méconnu pendant longtemps. Né en 1900, Alphonse Ravaton demeure l’un de ces nombreux afro-mauriciens (communément appelé ‘créoles’ à Maurice) qui vivent de petits métiers dans la pauvreté la plus criarde. C’est de cette pauvreté, à l’instar des musiciens de blues aux Etats-Unis, que Ti-frère allait puiser pour réinventer son art.

Au début du vingtième siècle les divertissements étaient peu nombreux dans la colonie britannique de Maurice. Ils l’étaient encore moins pour les classes laborieuses. Un des grands moments de loisirs des créoles de l’époque demeurait les soirées de séga autour d’un feu, les samedis soirs, après la semaine de travail. S’ajoutaient à cette coutume, les ‘bal zarico’ (soirées au cours desquelles une fève de haricot était cachée dans un gâteau et l’invité qui tombait dessus en mangeant sa part devait organiser la prochaine soirée et ainsi de suite).

Au cours de ces ‘bals zarico’, les musiciens et chanteurs de séga pouvaient s’exercer. Ces coutumes propres à la classe ouvrière demeuraient longtemps négligées des décideurs de l’époque. Ti-frère demeurait un de ces nombreux chansonniers de l’île qui n’avaient de rayonnement que parmi ses proches et les amateurs du séga.

« Roi du séga » depuis 1964

Toutefois, en 1964, un événement majeur, ‘La nuit du séga’ à la montagne du Morne, allait révéler celui qui sera par la suite reconnu comme la référence en matière de séga à Maurice. Lors de cette compétition, Ti-frère charma le public et fut couronné ‘Roi du séga’. Depuis, il est devenu le porte-drapeau de cette forme d’art et, avec l’avènement de l’audiovisuel et la dissémination de masse de la musique, l’artiste sortit de son cocon et sa musique et ses paroles connurent de nouveaux horizons qui dépassaient le cadre étriqué de l’île Maurice insulaire.

Il enregistra, dans les années 60 et 70, quelques 45 tours qui sont aujourd’hui introuvables sur le marché du disque et sont devenus de véritables ‘collectors’. Ses meilleurs morceaux peuvent toutefois être entendus sur le format CD car, peu avant sa mort, il avait enregistré un ‘Best of’.

Ti-frère représente également un premier pas dans l’affirmation de l’identité afro-mauricienne. Une identité, qui après des décennies d’oubli, de l’esclavage à l’exclusion économique d’aujourd’hui, se construit peu à peu à travers le travail d’historiens, d’artistes et d’étudiants. Une des dernières initiatives dans ce sens a été le décret d’un jour férié dédié à la commémoration de l’abolition de l’esclavage par l’Etat, le 1er février 2001. Ti-frère, lui, n’aura pas connu une telle reconnaissance. Il nous aura toutefois laissé un inestimable legs en sa musique et sa voix.

Le Ségatier Serge Lebrasse


Joseph Emmanuel Serge Lebrasse est connu sous le nom de Serge Lebrasse pour les Mauriciens et surtout connu comme l’icône du Sega mauricien. Serge est né le 25 juin 1930 à Rose Hill. Il est l’aîné de sa famille de 4 enfants. Il n’avait que 9 ans lorsqu’il a perdu son père. Il allait à St Enfant Jésus pour son école primaire. Après la mort de son père, sa mère était le seul soutien de famille de la maison et il a dû travailler comme couturière pour pouvoir subvenir à leurs besoins.

À l’âge de 14 ans, Serge a dû arrêter l’école car l’île traversait une épidémie de polio et il a commencé à travailler dans une usine de textile. Pendant cette période, on lui a diagnostiqué un problème cardiaque, ce qui l’a conduit à être alité pendant trois mois.

À l’âge de 18 ans, ou plus précisément en 1948, il envoie secrètement sa demande d’enrôlement dans l’armée britannique. En très peu de temps, il est accepté et part en Égypte pour la Seconde Guerre mondiale, pendant trois ans. Après ces trois années, il est revenu à l’île Maurice, il a commencé à travailler dans plusieurs écoles en tant qu’enseignant de 1952 à 1969.

Il s’est marié à sa belle épouse en 1954 et de leur union sont nés quatre enfants. Après cette période, il est à nouveau malade et doit donc quitter son emploi d’enseignant. Il se remet alors à la musique en tant que profession lorsqu’il rencontre Philippe Ossan. Cela le pousse à devenir professeur de musique. Il commence à écrire des chansons même si le séga n’est pas très apprécié à cette époque car il est considéré comme un genre vulgaire.

Il a écrit sa première chanson « Madame Eugène », qu’il pensait ne pas avoir de succès mais qui en a eu. C’est lui qui a chanté pour la première fête de l’indépendance avec Alain Permal et Cyril Labonne. Avec tous ces succès et cette expérience, Serge est devenu le chanteur le plus connu après Ti Frere. Il a reçu la médaille de la ville de Beau-Bassin Rose-Hill en 2000. Il a également été salué par la reine Elizabeth II et la reine Margareth.

Conclusion

En conclusion, le séga est un genre musical riche en histoire et en tradition qui a profondément influencé la culture mauricienne. De ses racines africaines aux artistes modernes qui le perpétuent, le séga reste un élément vital de la vie culturelle de l’ile Maurice. Cette musique continue de se développer et d’évoluer tout en gardant ses racines profondes dans la culture et la tradition de l’ile Maurice. En écoutant le séga, nous pouvons ressentir l’âme et l’esprit de cette île unique et vibrante.

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